•  Il se tenait dans l'encadrement de la porte, le visage tourné vers le soleil couchant, marbrant le ciel d'or et de pourpre. La fin approchait à grand pas, et il en était pleinement conscient. Bras droit et ami d'un tyran en disgrâce, il n'aurait jamais pensé que sa vie prendrait fin ainsi, dans un petit village perdu à côté d'un fleuve plusieurs fois millénaire. Lâchement abandonnés par ceux en qui ils avaient confiance, ils n'étaient plus qu'une poignée, face à une armée étrangère illégitimement entrée au pays. Il cracha d'amertume et de mépris, puis se saisi du vieux fusil de chasse posé contre le mur. Qu'importe les blindés, les fusils d'assauts, les hélicoptères et tous ces chacals puants, il n'abandonnerait jamais un ami dans le besoin, ni maintenant ni jamais. Il aurait pourtant pu partir et avoir une vie auprès d'une femme splendide résidant à la capitale, dans une maison spacieuse, amassant des billets comme un paysan les gerbes de blé ; mais le masque de la honte l'aurait hanté toute sa vie. Le voici donc considéré comme un criminel, lui qui n'a pourtant jamais prit la vie d'un homme quand il pouvait l'éviter et n'a jamais déshonoré quelque femme que ce soit alors que son statut l'aurait permis.

     Il perçut un nuage de poussière au loin et donna l'alerte. Ses gestes se firent alors rapides et sûrs : il vérifia ses quelques chargeurs, nettoya sa lunette de visée et arma le fusil. Son ami le rejoignit et ils allèrent auprès des derniers valeureux. Après quelques mots et une accolade, ils partirent à leurs postes. Lui, surnommé l'écureuil, grimpa en vitesse au sommet d'un vieux chêne. Les premières têtes apparurent. Il attendit quelques instants, puis une déflagration lui donna le signal, un des étrangers ayant déclanché une mine. Aux cris, il estima que trois hommes devaient être hors de combat, tandis qu'au moins un quatrième avait passé l'arme à gauche. Un sourire lui zébra le visage fugacement, et il regarda à travers la lunette. Un casque, un tir, une gerbe de sang, d'esquilles d'os et de cervelle ; un adversaire en moins. La vieille pétoire marche donc du tonnerre de dieu ! Bien, il n'en était pas certain. Ils s'arrètent et et revoient leurs prévisions sans se douter qu'il les observe à une centaine de mètres au moins. Les voilà plus prudents, et seulement après un tir et une mine. Un rictus s'afficha sur son visage quand il pensa aux pièges artisanaux meurtriers disposés entre les fosses à pieux et les arbres. Des pièges vieux comme l'humanité, ils ne s'y attendront jamais.


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  • Son poncho voletait dans l’air brulant de la rue. Il se tenait face à l’entrée du saloon. Une ombre passa sur son visage et ses yeux se levèrent. Un vautour faisait sa ronde. Il prit son cigare entre son pouce et son index puis lâcha un nuage de fumée. Ses lèvres se refermèrent autour de son cigare et ses yeux plissés fixaient la porte du saloon. Ses éperons sonnèrent tels un glas lorsque ses bottes frappèrent les marches en bois brûlées par le soleil. Les battants de la porte roulèrent et il s’arrêta, fixant l’assemblée, une entraînante musique berçant la scène. Une partie de poker se déroulait à sa gauche tandis qu’un notable tenait réunion avec deux hommes bien mis. Il marcha vers le bar, calmement, presque insensible au monde qui l’entourait. Il commanda un scotch au barman qui l’observa d’un œil plein d’appréhension. Le breuvage passa du verre à son gosier le temps de le dire. Sa tête se tourna vers la droite, fixant le notable qui riait à gorge déployée. La chaîne d’or de sa montre refléta un rayon de soleil. Lui mâchouilla le bout de son cigare et se dirigea vers l’homme d’affaire. Arrivé à table, il n’eut un regard pour les deux acolytes, se contentant de poser son regard émeraude sur le leader. Celui-ci perdit le sourire et ils eurent un court échange. L’autre blêmit et ses yeux étincelèrent de peur. Les deux acolytes se relevèrent brusquement tandis que les clients du saloon se tournaient vers eux, surpris par ce soudain et bruyant mouvement. Le piano s’arrêta. Lui plia les genoux tout en dégainant et tira sur celui à sa droite. Une gerbe de sang éclaboussa les environs et un trou se forma sur la poitrine tandis qu’un nuage de fumée s’éleva du canon. Les joueurs renversèrent la table, faisant voler les cartes, et s’abritèrent derrière tandis que le barman plongea sous le comptoir. Lui tomba sur le dos en pointant son arme sur le deuxième garde. Un éclair rouge puis un autre éclaircit la salle, une fleur perça sur la cuisse et un pleur de sang inonda la chemise. L’homme s’affala. Lui se redressa, dirigeant son canon fumant sur le notable. Un instant, le temps s’arrêta et les souffles se retinrent, pour reprendre brusquement lorsque qu’une gerbe rouge défonça les côtes du notable pour lui éclater le cœur. Il rengaina et se dirigea vers la sortie, indifférent aux regards abasourdis qui le fixaient. Il évita une flaque de bière et avala un scotch qui trainait sur une table encore debout. Il s’arrêta, gratta une allumette sur le montant de la porte pour raviver son cigare. Après une bouffée, il reprit son chemin et disparut du saloon, ne laissant seulement dans son sillage qu’une brume de fumée mêlant le tabac à la poudre ainsi que trois cadavres nageant dans leur sang. Un hennissement retenti au dehors, rapidement suivi par le chant d’une galopade vers le désert.


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